Trajectoire en bref

Trajectoire projette le système de retraite français et simule l’impact de réformes à moyen et long terme (env. 50 ans) en prolongeant les trajectoires individuelles sur le marché du travail et en calculant des droits individuels à la retraite. Avec l’objectif de pouvoir évaluer les effets financier et redistributifs de telles réformes, Trajectoire s’attache à reproduire les enchaînements de carrière typiquement observés sur le marché du travail, en préservant au maximum la spécificité de chaque parcours. Ainsi, le comportement simulé d’une personne entrée jeune en emploi ne sera pas le même qu’une personne de la même génération ayant attendu la fin de ses études supérieures.

Au cœur de Trajectoire se trouvent trois étapes principales de simulation, qui sont esquissées ci-dessous et détaillées dans d’autres sections :

  1. la prolongation des carrières (section 3)
  2. l’estimation des salaires (section 3)
  3. les comportements de départ à la retraite (section 5)

Trajectoire opère des simplifications du système de retraite réel, utilise des données réelles pour simuler les comportements et enfin se base sur des hypothèses sur l’état futur de la démographie et de l’économie et raisonne à législation constante. Tous ces éléments sont détaillés dans les sections suivantes.

Les étapes principales

Prolongation des carrières

Dans un premier temps, Trajectoire assigne à chaque individu de l’échantillon inter-régime des cotisants (EIC) un ou plusieurs états sur le marché du travail, chaque année de ses 14 ans à ses 70 ans. (On néglige toute période de travail en dehors de ces âges.) Les 25 états considérés sont tous ceux qui comptent, d’une façon ou d’une autre, pour le calcul des droits à la retraites.

  • états actifs :
    • secteur privé
      • salariat agricole (MSA)
      • salariat du notariat (CRPCEN)
      • marine (CANSSM)
      • mines (ENIM)
      • électricité et gaz (CNIEG)
      • banque de France
      • cultes (CAVIMAC)
      • SNCF
      • RATP
      • contrats de la fonction publique
      • encadrement
      • salariat (autre)
      • commerce ou artisanat (SSI)
      • exploitation agricole (MSA)
      • profession libérale
  • états actifs (suite) :
    • fonction publique d’État
      • à temps complet
      • à temps partiel
    • fonction publique territoriale ou hospitalière
      • à temps complet
      • à temps partiel
    • chômage
  • états inactifs :
    • sans cotisation
    • invalidité
    • maladie
    • soins d’un enfant ou d’un parent (AVPF)

Les états des personnes suivies dans l’EIC sont simplifiés sur une base annuelle en un état “principal” et, le cas échéant, un état “secondaire”. Par exemple, une infirmière d’hôpital exerçant en libéral de façon complémentaire aura pour activité principale “fonction publique territoriale ou hospitalière” et pour activité secondaire “profession libérale”. Toute autre activité au-delà de la seconde est ignorée. Voir étape 3.7 et suivantes pour plus de détail.

Dans un deuxième temps, Trajectoire calcule des probabilités de transition entre ces états, par groupe d’âge, d’âge de premier emploi, de sexe et de lieu de naissance (France ou étranger). Cependant, à partir de 50 ans, ces transitions ne sont plus calculées par rapport à l’âge mais selon la distance à l’âge d’ouverture des droits (AOD), afin de tenir compte de « l’effet horizon », c’est-à-dire des comportements particuliers de fin d’activité à l’approche de la retraite. L’hypothèse est qu’une personne de 55 ans pouvant partir à la retraite à 57 ans, se comportera de façon similaire à une personne de 63 ans pouvant partir à 65 (toutes autres caractéristiques que l’âge étant inchangées), et moins comme une autres personne de 55 ans ayant encore 10 ans de carrière devant elle. Se reporter à étape 3.1 pour l’effet horizon et à @étape 3.14 pour les transitions proprement dites.

Dans un troisième temps, des transitions sont simulées dans le futur, sur la base des probabilités estimées de transition. De nouveaux individus sont générés lorsque cela est nécessaire. C’est par exemple le cas des générations non suivies dans l’EIC ou des futurs immigrants. Les résultats obtenus sont ensuite calés pour respecter l’évolution des effectifs de cotisants par régime et les hypothèses de chômage, prévues par le Conseil d’orientation des retraites (COR) dans ses rapports annuels. Section étape 3.23.

Estimation des salaires

Une fois les états des personnes prolongés dans le futur, Trajectoire complète les salaires, qui gouvernent notamment les montants des pensions versées. Pour ce faire, nous regroupons les personnes par régime de retraite, sexe et âge d’entrée sur le marché du travail (toujours comme proxy du diplôme) puis, au sein de chaque groupe, nous estimons la rémunération relative de chaque personne vis-à-vis de ses pairs.

La position relative moyenne observée sert de base à l’attribution d’un salaire dans le futur. Ainsi, si une cadre du privé est observée de ses 23 à ses 33 ans, ses revenus constatés permettront de quantifier sa “position” parmi les femmes diplômées cadres du privé (techniquement, le quantile moyen de son revenu chaque année). Pour sa 34e année, on lui attribue une nouvelle “position” en utilisant cette position passée mais également la distribution des revenus dans sa nouvelle classe d’âge. Cela nous permet alors de simuler un revenu qui reflète à la fois ses caractéristiques propres et l’évolution générale des salaires avec l’expérience. Moyennant certaines simplifications, on prolonge le raisonnement pour simuler des salaires cohérents en terme d’ancienneté au sein d’un régime donné et en terme d’ancienneté globale en emploi.

Mais Trajectoire prend également en compte la variation de du revenu relatif de chaque personne (techniquement, l’écart-type de ses quantiles de revenu). Cela permet ensuite d’introduire du “bruit” dans les revenus simulés, et de mieux reproduire le caractère aléatoire des trajectoires réelles de revenus. Prendre en compte cet aléa est fondamental dans la mesure où de nombreux régimes de retraites ont des mécanismes qui se déclenchent uniquement à partir d’un certain seuil de revenus. En effet, la position relative moyenne seule ne permet pas d’atteindre ces seuils de revenus élevés ; ce ne sont que quelques “chanceux” parmi chaque groupe qui atteignent les revenus suffisant pour être concernés. Inversement, certains “malchanceux” tombent en-dessous de certains seuils et déclenchent d’autres dispositifs. Or toute cette complexité est masquée par une approche purement “en moyenne”.

Comportements de départ

Le module de départ de Trajectoire repose sur la reproduction du comportement de départ observé dans l’échantillon interrégimes de retraités (EIR) pour la génération 1950, la plus récente des générations entièrement parties à la retraite. Des probabilités de départ sont calculées pour chaque assuré et à chaque trimestre entre son âge d’ouverture des droits (AOD) et 70 ans. Ces probabilités sont modulées par sexe, par caisse, par distance au taux plein, par trimestre de naissance, etc (régression logistique).

Pour la simulation, nous continuous à raisonner trimestre par trimestre pour chaque carrière prolongée, sur la même fenêtre de l’AOD à 70 ans, et nous calculons ainsi pour chaque individu et à chaque date une probabilité de départ. Ensuite, Trajectoire tire aléatoirement une date de départ effectif en respectant ces probabilités. Dans certains cas particuliers, des dates intermédiaires sont également ajoutées entre chaque trimestre ; c’est notamment le cas des personnes ayant peu accumulé de droits à la retraite à l’approche de l’âge d’annulation de la décote (AAD).

De nombreuses subtilités sont à prendre compte pour attribuer à chaque individu une caisse principale (la caisse auprès de laquelle il a validé le plus de trimestres au cours de sa carrière réelle puis simulée), pour déterminer finement le mois d’atteinte du taux plein et pour prendre en compte toutes les dérogations au droit commun : catégories actives et super-actives de la fonction publique, carrières longues, invalides et inaptes, aidants, etc.

Les simplifications

La plus grande simplification est de considérer que le système de caisses de retraite français est structuré en seulement 8 grands régimes :

  1. fonction publique d’état
  2. fonction publique territoriale et hospitalière
  3. salariat agricole
  4. régime général (salariat non agricole hors régimes spéciaux)
  5. régimes spéciaux (modélisés comme la SNCF)
  6. commerce et artisanat
  7. professions libérales (modélisées comme la médecine)
  8. exploitation agricole

Ainsi, les clercs de notaires, les infirmières, le clergé, les marins, la RATP… peuvent être modélisés avec des règles seulement approximativement exactes.

Une autre simplification majeure est de ne pas du tout considérer le cas des pensions de réversion. Cela est dû notamment au fait que les droits à la réversion sont des droits dérivés, et dépendent donc des revenus et de la date de décès des conjoints. Or les sources utilisées par Trajectoire ne donne aucune information familiale. Prendre en compte la réversion nécessiterait de modéliser l’endogamie des unions, puisque l’on peut supposer que l’espérance de vie et le revenu sont corrélés entre les époux.

D’autres simplifications plus mineures sont opérées. Ainsi, le régime spécifique des militaires est assimilé aux régimes dits “super-actifs” de la fonction publique (ex: police nationale, pompiers, etc.). De même, Trajectoire néglige les cas de cumul emploi-retraite ou les rares cas de travail après 70 ans.

Les sources

La principale source utilisée par Trajectoire est l’échantillon inter-régime des cotisants (EIC). Le modèle de départ utilise l’échantillon inter-régime des retraités (EIR). D’autres sources sont utilisées ponctuellement, voir section 2.

L’échantillon inter-régime des cotisants (EIC)

L’échantillon inter-régime des cotisants (EIC) (lien) retrace finement, à un pas annuel, les trajectoires professionnelles d’un échantillon d’individus représentatif de la population française (environ 750 000 individus) ayant été affiliés au moins une fois dans leur carrière à un régime de retraite français. Pour chaque individu, les caisses de retraite renseignent les informations annuelles dont elles disposent à partir de l’âge de 14 ans et jusqu’à l’année de l’enquête (2017 pour la dernière vague de l’EIC) : trimestres cotisés, salaires perçus, périodes de maladie, etc. L’EIC synthétise pour chaque carrière les renseignements émanant des différentes caisses. Les enquêtes ont lieu tous les quatre ans. D’une vague d’enquête à l’autre, ce sont les mêmes personnes dont la carrière est reconstituée (panel), ce qui simplifie la collecte d’information.

L’EIC de 2017 porte sur les générations ayant entre 23 et 71 ans au 31 décembre 2017, nées en France ou à l’étranger. Tiré par l’Insee à partir du le Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP), il comprend les personnes nées :

  • Soit sur les 10 premiers jours d’octobre, les 2 et 3 janvier, les 1e et 2 avril et les 1e et 2 juillet pour une génération sur quatre de 1946 à 1994, avec un taux de sondage de 4,4 % par génération;
  • Soit sur les 2 et 3 janvier, les 1e et 2 avril, les 1e et 2 juillet et les 1e et 2 octobre pour une génération sur quatre de 1956 à 1992, avec un taux de sondage de 2,2 % .

L’échantillon est complété par des individus dont le mois de naissance est inconnu dans le RNIPP.

Près de 6 % des individus répondant aux critères pour faire partie de l’échantillon ne sont retrouvés dans aucune des caisses : il peut s’agir soit de personnes n’ayant jamais cotisé, soit de personnes ayant cotisé dans un des régimes de base non pris en compte dans l’EIC.

L’EIC est la pierre angulaire de Trajectoire, et sert de base à la simulation des carrières futures. Les générations non suivies dans le l’EIC (celles nées une année impaire) sont également simulées.

Les variables principales d’intérêt de l’EIC pour Trajectoire sont :

  • la rémunération : grandeur centrale pour le modèle. Le système de retraites peut être vu comme une fonction qui transforme la chronique des rémunérations individuelles en différentes cotisations et pensions. Le prolongement des rémunérations (étape 3.26) est, par conséquent, un des coeurs nucléaires du modèle (avec le prolongement des carrières (étape 3.23) et le choix de départ en retraite (étape 5.8)). Pour les caisses de la fonction publique, la rémunération EIC correspond uniquement au traitement (donc exclut les primes). Pour les autres caisses, il s’agit de la rémunération déplafonnée.
  • les trimestres : chaque année, on a les trimestres cotisés, gratuits et validés dans les différentes caisses
  • les points : quelques caisses de base (MSA exploitant, CNAVPL) et les complémentaires sont des systèmes à points, on a donc l’information des points cotisés, gratuits et validés.

L’EIC apporte aussi une petite base contenant les trimestres validés durant le service militaire.

L’échantillon inter-régime des retraités (EIR)

L’échantillon inter-régime des retraités (EIR) (lien) est un panel permettant d’observer les conditions de départ à la retraite. Une pension de retraite pouvant provenir de plusieurs régimes de retraite différents et une personne pouvant bénéficier de droits dérivés, de son conjoint notamment (invalidité, réversion), l’EIR permet de rapprocher les données des différents régimes français obligatoires en collectant des éléments tel que le montant de pension, le nombre de trimestres validés,le taux et les circonstances de liquidation (dates de liquidation, notamment), les décote et surcote éventuelles, etc.

L’EIR 2016 porte sur les pensions de retraite et d’invalidité versées en décembre 2016 pour la génération 1915 (101 an fin 2016), les générations paires de 1918 à 1944, toutes les générations de 1946 à 1962, et enfin les générations paires de 1964 à 1982 (34 ans), avec des taux de sondage variables. La génération 1950 (67 ans) est sur-représentée car c’est la première à être quasi-entièrement retraitée. Comme l’EIC, l’EIR est tiré par l’Insee à partir du Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) et l’échantillon est complété par des individus dont le mois de naissance est inconnu dans le RNIPP. Il comprend au total un peu plus d’1,8 millions de personnes. Les enquêtes ont lieu tous les quatre ans.

L’EIR est supposé représentatif pour les générations avant 1951 en 2016. Comme Il s’agit de l’EIR 2016, la génération 1950 est observée à l’âge de 66 ans. L’AAD de droit commun étant de ans pour cette génération, on considère que le panel des retraités de la génération 1950 est représentatif de la génération toute entière. A l’inverse, la génération 1958 observée dans l’EIR, par exemple, n’est composée que d’individus bénéficiant d’un dispositif de retraite anticipée et donc n’est pas représentative.

Trajectoire utilise principalement l’EIR pour modéliser les comportements de départ en retraite. Nous nous focalisons sur la génération r paramModele$genFusionEicEir et ne retenons au sein de cette génération que les personnes faisant également partie de l’EIC, soit 36 030 personnes.

L’avant-dernière millésime disponible de l’EIR (2012) est aussi utilisée : elle permet de comparer le panel à 4 ans d’intervalle et donc en observant les décès de voir quelles caractéristiques ont un effet sur la mortalité (étape 2.25).

Les variables principales d’intérêt de l’EIR pour Trajectoire sont :

  • la pension de droit direct : la pension de droit dérivée est aussi présente mais n’est pas pas modélisée dans Trajectoire. La pension est celle de la liquidation, pour les masses annuelles de pension, il faut simplement prendre en compte les revalorisations et les éventuels décès.
  • les dates de liquidation : permettent, entre autre, d’étalonner le modèle de départ (section 5)
  • des trimestres additionnels totaux : trimestres de régularisation, de bonification (étape 4.20), validés à l’étranger (étape 4.21). Ils sont absents de l’EIC. Les observer dans l’EIR permet de reproduire leurs distributions.

L’EIR contient aussi une petite base donnant les Versements Forfaitaires Uniques (VFU).

La fusion de l’EIC avec l’EIR est effectuée sur la génération 1950 qui est bien représentative. Elle permet de connecter les données EIC de type durée validée à n’importe quel âge aux variables d’intérêt qu’on ne trouve que dans l’EIR, comme les trimestres validés à l’étranger et les trimestres de bonification. La fusion crée des distributions de ces trimestres par sexe, pays de naissance et durée validée qui seront utilisées ensuite pour les imputations (étape 4.21 et étape 4.20).

L’EIR est supposé représentatif pour les générations avant 1951. L’EIC est donc utilisé pour modéliser les générations suivantes (à partir de la génération 1951).

Les données de la génération 1951 et ultérieures dans l’EIR ne sont donc pas utilisés dans Trajectoire. Les utiliser serait assez délicat : la génération 1951 n’est pas présente dans l’EIC alors qu’elle est dans l’EIR, on est donc contraint d’imputer des individus dans Trajectoire. On va créer un individu 1951000001 clone de l’individu 1950000001 or cet individu peut exister réellement dans l’EIR avec une carrière toute autre. La différence entre le panel EIC et EIR est une difficulté importante.

Les grandes hypotheses

Pour prolonger les carrières dans le futur et calculer des droits à la retraites (date d’obtention de droits et montants des pensions), Trajectoire mobilise des hypothèses sur le futur de la réglementation, de la démographie et de l’économie. Sur ces points, nous utilisons au maximum les hypothèses de travail du dernier rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR ; rapport 2023). C’est notamment le cas pour les hypothèses d’espérance de vie et d’immigration, ou de croissance des salaires réels.

Trajectoire raisonne à législation “à jour”, c’est-à-dire avec application des réformes déjà entrées en vigueur, peu importe que leur effet soit immédiat ou différé. Ainsi, de nombreux paramètres dépendent réglementairement de variables économiques sur lesquelles ils sont indexés. Dans ce cas, on est , c’est par exemple le cas :

  • des pensions, revalorisées sur les prix
  • du minimum contributif de pension, indexé sur le SMIC
  • du plafond de la sécurité sociale, indexé sur le salaire moyen

D’autres paramètres ne sont pas indexés et nous utilisons alors les hypothèses du COR. C’est le cas notamment de :

  • la dynamique du traitement dans la fonction publique (point d’indice + déplacement des grilles)
  • la dynamique des primes des fonctionnaires
  • la valeur de service et valeur d’achat du point de l’Agirc-Arco

Les limites

Trajectoire ne modélise que certains aspects du système de retraite français. En particulier:

  1. Trajectoire ne modélise pas les ressources du système, comme les transferts de masse monétaire entre les caisses, les exonération de cotisation etc.
  2. Trajectoire ne modélise actuellement pas le minimum vieillesse
  3. Trajectoire ne considère pas d’éventuels gains de bien-être liés aux loisirs dans les comparatifs de réformes